1767
Une dernière volonté pas ordinaire...
Au hasard des recherches dans les fonds notariés anciens, il arrive que l'on tombe sur des actes peu communs. Celui que nous allons découvrir fait partie de cette catégorie et concerne bien entendu directement notre ancienne communauté d'Aiguèze.
Avant la révolution, et de toute ancienneté, notre paroisse possédait un prieur. Les prieurs faisant partie des personnalités les plus en vue, instruits, ils aidaient bien souvent à la gestion des affaires communes. Leur présence était maintes fois souhaitée pour mener à bien tel ou tel procès ou faire autorité dans les nombreux litiges de la vie courante. Ils étaient généralement originaires de la petite bourgeoisie, pas forcément locale, et de ce fait assez aisés. Ils étaient les bénéficiaires de la dîme, impôt prélevé en nature au moment des récoltes, ce qui leur valut une animosité féroce au moment de la révolution... Mais les prieurs n'étaient pas des personnes détestables, bien au contraire, ils étaient souvent aimés et respectés au sein de notre communauté. Ils vouaient, comme en témoignent de nombreux documents, une grande amitié, parfois teintée de paternalisme, envers les âmes dont ils avaient la charge.
En 1746 Véran-Simon Reyre, originaire semble-t-il de Caderousse, fut pourvu du bénéfice de la paroisse d'Aiguèze en remplacement de Joseph Barbeyrac. Il fut prieur d'Aiguèze jusqu'en 1772. On le trouve, bien entendu, cité dans de nombreux documents. Il tient également, comme il se doit, les registres paroissiaux grâce auxquels on peut reconstituer les familles d'alors.
En 1767, voyant sa santé chancelante, il décide alors de passer devant le notaire de St Julien de Peyrolas pour lui dicter ses dernières volontés. Ce dernier se rendit donc au presbytère d'Aiguèze le 19 décembre de cette année là, accompagné de six aiguezois faisant office de témoins. Devant tout ce beau monde notre prieur dicta un des plus long testament qu'il m'ait été donné de rencontrer durant mes recherches: seize pages de volontés, lesquelles sont d'un grand intérêt pour l'étude des mœurs d'alors.
Voulant montrer son profond attachement à notre petit village, Véran-Simon Reyre légua toute sa fortune afin d'établir une école de jeunes filles à Aiguèze. Mais laissons ici la place à ses volontés telles qu'ils les a dictées...
En premier lieu le testateur charge sa sœur, habitant Caderousse, de donner annuellement et perpétuellement la quantité d'une salmée de blé, moitié seigle et moitié touselle, qui sera convertie en pains et distribuée aux douze plus pauvres familles d'Aiguèze. Cette distribution se fera par portions égales sans distinction ou préférence.
Suit, textuellement: " Et ledit testateur voulant des marques de sa bienveillance et de son attachement à la communauté d'Ayguèze par l'endroit qu'il croit le plus nécessaire car elle se trouve pauvre et hors d'état de remplir l'objet qu'il a eu de tout temps, a institué en tous ses biens une école de charité qui sera établie à perpétuité au dit lieu, laquelle école aura pour objet l'éducation gratuite des filles originaires d'Ayguèze, et de celles de Laval St Roman dont les familles sont sujettes à la même dismerie et tailhabilité "
Un peu plus loin suivent les clauses, certaines font sourire aujourd'hui, mais montrent bien la rigueur qui était de mise à cette époque.
" Pour remplir la fonction et charge de la dite école et tirer les rentes et revenus, il sera choisi une fille, de la capacité, intégrité, sagesse, piété et vertu convenable, elle ne pourra être destituée que dans le cas où elle s'écartera de la conduite et devoirs prescrits, et si elle devient infirme on pourra lui donner une aide de la même qualité et mêmes talents et vertus"
" La fille exerçant l'école sera tenue de s'habiller d'une manière modeste et simple, convenable à l'état d'humilité qu'elle embrasse et ne pourra porter que des robes noires en laine toutes saisons.
Elle fera l'école deux fois le jour, ne pouvant donner qu'un seul jour de vacance par semaine fixé au jeudi, à l'exception du temps des vers à soie où elles pourront prendre trois semaines de vacances..."
"L'école s'ouvrira par la prière du matin et finira chaque soir par la prière du soir qui sera suivie d'un déprofondi que les écolières diront avec la maîtresse pour le repos de l'âme du donateur..."
"La dite maîtresse enseignera de son mieux à lire en français et en latin et à écrire, leur apprendra à coudre comme ont besoin les gens de la campagne, les instruira du respect et soumission qu'elles doivent à leurs pères et mères, de la charité qu'elles doivent à leurs inférieurs..."
"Il est expressément prohibé à la maîtresse de recevoir, loger et donner à manger dans la maison à aucun homme, religieux ou séculier, de quelques conditions qu'il puisse être et d'y souffrir aucune danse, même entres filles, sous peine d'être destituée sans que cette peine ne puisse être changée..."
"Ladite maîtresse et ses succédantes à perpétuité seront obligées de tenir une conduite exempte de tout reproches et en cas qu'elles commettraient quelques fautes notables et scandaleuses elles seront destituées sans forme ni figure de procès..."
"Il sera fait tous les ans par le prieur en place accompagné des consuls une vérification exacte des meubles et effets pour voir s'ils sont en bon état et du même nombre et même qualité..."
" Ledit Sieur fondateur exhorte la dite maîtresse d'attirer les écolières et autres filles du lieu dans la dite maison les jours de fête et les dimanches et les sortir par là de la compagnie mondaine..."
"Et afin de commencer son projet il a choisi pour exercer la fonction de maîtresse Delle Thérèse Ramière, fille de Sieur Guillaume, en laquelle il connait la capacité, vertu, piété et autres qualités et talents convenables..."
On en restera sur les clauses les plus remarquables, l'acte s'étalant sur d'autres facettes plus juridiques qui vous seront épargnées...
Un petit mot au sujet de Thérèse Ramière, la première institutrice choisie. Celle-ci naquit en 1740 dans notre petit village, et semble avoir été extrêmement appréciée par tous les aiguezois. Décédée très jeune en 1769, le prieur note sur son registre que son inhumation se fit " En présence de toute la paroisse qui fondait en larmes d'avoir perdu un si bon sujet, qui éduquait les filles de la paroisse avec beaucoup de succès "
Voilà pour la petite histoire locale, pour ces moments qui se perdent très vite dans le tourbillon de la vie mais qu'il est parfois plaisant de se souvenir...
Lou Recataïre
"Le 10 avril 1769 sépulture de Delle Thérèse Ramière"
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