vendredi 19 août 2016

UN BARRAGE DANS LES GORGES EN 1505 DONT LA RIVIÈRE S'EST DÉBARRASSÉE TOUTE SEULE LORS D'UNE CRUE IMPRESSIONNANTE !

UN ARTICLE DU RECATAIRE CONCERNANT NOTRE RIVIÈRE ARDÈCHE !


1505

 La resclauze des Chartreux de Valbonne dans les gorges


C'est dans ce virage sous CASTELVIEL que fut établi le barrage

Quand on parle de barrage dans les gorges de l'Ardèche il nous vient immédiatement à l'esprit le projet avorté de la retenue de Dona Vierne. En effet, peu de personne savent qu'un barrage fut réellement construit dans le canyon de l'Ardèche et qu'il donna naissance à un très long procès. Procès qui fut finalement gagné par dame nature en désobstruant le lit de la rivière lors d'une crue mémorable.

Au 16ème siècle les Chartreux de la Valbonne était propriétaire du droit de pêche depuis le rocher de Castelviel jusqu'au guet du Borian. Vers 1500, dans l'espoir de profiter un peu plus de ce droit, les moines décidèrent de fermer la rivière. Barrer le cours d'eau permettait de pêcher avec une relative facilité en interdisant la fuite du poisson. En contrepartie cela avait le double inconvénient de compromettre sérieusement la navigation et de stopper la remontée des poissons. L'emplacement exact où fut édifiée cette retenue est incertain. Aucun document ne la localise avec exactitude. Toutefois plusieurs éléments permettent de la situer au-dessous du rapide de la caville, à l'endroit où le lit de la rivière est refermé par une avancée rocheuse. Cet étranglement de la rivière fut une bénédiction pour mettre en oeuvre le projet. Les éléments qui accréditent ce lieu sont divers. En premier lieu la toponymie, la source se trouvant quelques dizaines de mètres en aval se nomme en effet "La source de l'écluse". Puis la configuration des lieux, c'est en effet le seul endroit où barrer la rivière peut-être envisageable avec les moyens de l'époque. Enfin les cavités creusées dans la roche et qui permirent d'encrer des pieux de bois confirment la thèse.


Le 31 décembre 1506, lors de la tenue des états du vivarais, Bernard Nicolas, procurateur du dit pays, exposa à l'assemblée les conséquences dramatiques que pourrait avoir un tel projet s'il venait à se réaliser. On relève entre autres: "Laquelle resclause sera dommageable à tout le pays de Vivarais et circonvoisins de la dite rivière à cause de ce que si la dite resclause se fait, aucun poisson ne remontera contrement la dite rivière ..." Les états décidèrent d'en interdire purement et simplement la construction.

Mais c'était sans compter sur l'opiniâtreté des Chartreux et la puissance d'un tel ordre dans la région. Contre l'avis des états, les Chartreux mirent donc à exécution leur funeste projet. Immédiatement alerté les états du vivarais portèrent l'affaire devant les tribunaux, il était en effet impossible de tolérer un pareil affront.


En février 1509, alors que l'affaire piétinait, Louis Blanc, l'un des consuls de Bourg St Andéol, refusa de continuer à participer aux frais du procès. Pour lui cette affaire ne concernait que les riverains de l'Ardèche et nullement la ville de Bourg. Enfin à la fin de la même année la cour rendit son verdict, les états du vivarais perdirent le procès et furent condamnés à 25 livres d'amende pour le roi. Les états ne lâchèrent pas l'affaire pour autant.


En 1511 il y eut un premier essai de conciliation qui n'aboutit à rien. Toutefois, la même année fut passée une transaction entre le seigneur de Crussol et le prieur de la Valbonne. Il fallut néanmoins attendre la crue de 1521 pour que la "resclause" des Chartreux soit emportée par la violence du courant. Une nouvelle ordonnance du parlement de Toulouse arriva à point nommé pour en interdire la reconstruction. Cette ordonnance faisait obligation de démolir toutes les écluses et tous les barrages sur les rivières réputées navigables. Les membres des états du vivarais, réunis le 22 janvier 1523, profitèrent de l'aubaine pour essayer "d'empêcher que l'écluse des Chartreux récemment détruite par les inondations soit reconstruite, l'Ardèche sera ainsi navigable d'Aubenas à Pont St Esprit et on pourra envoyer du bois jusqu'à Avignon et Aigues-Mortes." Mais les Chartreux en avaient décidé autrement, il était impératif pour eux de réédifier la "resclause".


En 1524 plein pouvoir fut donné à l'évêque de Viviers pour transiger avec les moines de la Valbonne et essayer de leur faire abandonner leur projet de reconstruction. Rien n'y fit, en 1532 les Chartreux relevèrent l'écluse sur l'Ardèche, nouveau procès. En 1542 nouvelles plaintes contre les Chartreux de Valbonne qui ont relevé leur écluse sur l'Ardèche "quest fleuve navigable". En 1553 le cardinal de Tournon parvint semble-t-il avec plus de succès à ramener les Chartreux à la raison. Il n'est plus question à compter de cette époque d'écluse sur l'Ardèche. Toutefois en 1556 il y eut de nouvelles plaintes contre les habitants de St Just, Pont St Esprit et Valbonne qui empêchent la montée du poisson en posant des filets en travers de la rivière. Plainte réitérée en 1571 et donnant lieu à des mesures pour interdire la pose de filets à l'embouchure de l'Ardèche.

Quant à la "resclause" des Chartreux, elle avait barré la rivière durant trente-six années. Une première fois de 1506 à 1521 et une seconde fois de 1532 à 1553. Il ne sera plus question ensuite de barrage dans les gorges de l'Ardèche jusqu'en 1926. Epoque à laquelle ce joyaux de la nature a bien failli disparaître pour de bon, englouti par les eaux!

Lou Récataïre


Sources:
Extrait des délibérations des états du Vivarais, 31 décembre 1506, 24 janvier 1508, 8 février 1509, 15 décembre 1509, 11 février 1511, 15 février 1511, 20 janvier 1523, 8 janvier 1524, 26 novembre 1532, 5 décembre 1542, 13 décembre 1553, 4 novembre 1556, 7 décembre 1571 (AD07, C329, C330, C331, C333).



 "1506 - Extrait des délibérations des états du vivarais par-devant Bernard Nicolaï, syndic du vivarais. "

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